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Le feu aux poudres

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9-NiNe-9's avatar
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L’air est frais pour un été milanais. Une légère brise nous apporte les échos d’une fête plus haut dans la rue. Derrière moi, Edward demande encore une fois à son frère s’il est sûr et certain qu’ils le laisseront rentrer, parce qu’il n’a pas envie de rester tout seul en pleine nuit dans ce quartier.
Edward m'agace à trépigner comme un mioche, mais, en effet, le coin est mal famé et, moi aussi, j’aimerais bien qu’on se magne de nous laisser entrer…
La plaquette de bois encastrée dans la porte coulisse soudain, révélant un visage peu amène.
- Oui? me demandent les yeux derrière la vitre grillagée.
- Dario Dominatti, Franz Walden et Edward Walden.
- Bienvenue à la maison Catiliani, messieurs, réplique l’armoire à glace en nous ouvrant la lourde porte de bois laqué noir.
Edward, légèrement anxieux, glisse un regard effaré à son frère, ses yeux allant du tas de muscles à Franz.
-Je vous souhaite de passer une agréable soirée. Veuillez déposer vos armes au bar, je vous prie, ajoute-t-il d’une voix profonde en refermant la porte derrière nous.
C’est bien plus un ordre qu’une demande polie, et la phrase sonne de façon étrange sortie de la bouche du Géant de la Porte.
Habitués de la maison, Franz et moi laissons nos manteaux aux hôtesses avant de descendre une volée de marches pour nous rendre au bar. Derrière nous, Edward, tout excité de pénétrer pour la première fois dans le plus privé des clubs clandestins de Milan, trottine comme un chiot à qui on aurait promis un os.
Nous nous glissons entre plusieurs tables de black jack, Edward manquant de se prendre les pieds dans un grand tapis aux tons rouges tant il est occupé à détailler chaque recoin de la pièce. La salle, installée en sous-sol, ne dispose pas de fenêtres et des abat-jour, dans les tons chauds eux aussi, tamisent la lumière, donnant une ambiance intime et cosy. Une discrète musique jazzy interprétée au piano flotte dans l’air et finit le décor. Je regarde où je mets les pieds pour éviter de trébucher à mon tour.
Une fois au bar, une superbe rousse nous passe tour à tour au détecteur de métaux avant de nous inviter avec un magnifique sourire à rejoindre une des tables de jeux.

Trois heures plus tard, j’ai perdu quelques milliers d’euros à la roulette, j’en ai gagné presque autant au poker et, malgré tout le whisky que j’ai ingurgité, je me sens très chanceux sur cette main. Mes partenaires de jeux restants, un négociant napolitain à la mine revêche et un jeune russe que j’ai croisé plusieurs fois dans les boîtes branchées de Moscou, me croient trop saoul pour bluffer. Comme ils ont tort…
Pour le coup, j’affiche le sourire niais du mec qui a non seulement trop bu mais qui a aussi sûrement été bercé trop près du mur.
Du coin de l’œil, j’aperçois Stefano discutant au dessus d’une partie de tarot à cinq, un verre à la main. Stefano est mon frère aîné. Nous ne nous sommes pas parlé depuis le dernier repas mondain auquel nous avons tous les deux assisté il y a plus de quatre mois. En entrant il y a une heure, il m’a gratifié d’un hochement de tête alors qu’il se hâtait d’aller serrer la main à de vagues connaissances.
Je descends cul sec la fin de mon verre.
J’entends les glaçons cliqueter alors que je repose le récipient vide, comme un roulement de dés, peut-être est-ce la chance qui tourne en ma faveur? Mais, à peine ai-je le temps d’ouvrir la bouche pour faire une annonce que Monsieur Armoire à glace, qui nous avait si aimablement accueillis à notre arrivée, vole à travers la salle pour atterrir sur l’une des tables de roulette, l’écrasant sous sa masse.
Il y a comme une demi seconde de flottement durant laquelle tout le monde observe, médusé, le mastodonte volant venu s’échouer au milieu de la partie d’Edward.

Puis, une hôtesse hurle, et soudain c’est la panique.
Une douzaine d’hommes armés entrent par la porte principale et commencent à canarder tout le monde. J’aperçois du coin de l’œil Franz jeter au sol les deux serveuses qu’il avait sur les genoux et se précipiter vers la sortie. Une dizaine d’hommes (dont mon négociant napolitain) et quelques hôtesses se carapatent aussi avant que l’un des gars armés n’en abatte une au moment où elle passait la porte et ne se place entre la sortie et nous.
Je me rends alors compte que je n’ai pas bougé d’un pouce depuis que je me suis levé à l’atterrissage de Monsieur Muscle. Aussi discrètement que possible, je me baisse et profite de la cohue pour aller me planquer derrière le bar. Au passage, je récupère Edward qui, agité de spasmes nerveux, se recroquevillait sous une table.

Les quelques malheureux qui n’ont eu ni le temps de sortir, ni la présence d’esprit de se cacher, sont abattus froidement. Un frisson me glace la nuque. Ma main n’était pas si chanceuse que ça, finalement.
Au milieu de la salle, les gémissements se taisent peu à peu. Les mecs armés tapent la discute en ce que je pense être du turc. J’étais pourtant sûr que les milanais de ce côté de la ville avaient passé des accords avec la mafia turque… Je devrais me tenir plus au fait des alliances actuelles.
En face de moi, adossée à un mur de bouteilles, la jolie rousse de tout à l’heure tremble comme une feuille en sanglotant silencieusement. Je sursaute en avisant Stefano à ma droite qui a apparemment lui aussi eu le temps de se cacher derrière le bar. Je fronce les sourcils en le voyant s’approcher de la serveuse et lui chuchoter à l’oreille. J’imagine une seconde qu’il tente de la rassurer, mais évidemment je me trompe, mon frère n’est pas du genre à câliner une serveuse derrière un bar au milieu d’une guerre de gangs.
- Je… Barbara. 17, 32, 41, 59, murmure la serveuse.
La pauvre a sûrement dû fondre un fusible…
- Merci Barbara, marmonne mon frère, avant de se retourner vers le coffre contenant les armes des joueurs et de composer tranquillement la combinaison.
- Mais qu’est-ce que tu fabriques! lui chuchoté-je urgemment. C’est pas le moment de jouer les héros!
Je risque un coup d’œil au conciliabule turc. Pourvu qu’ils ne nous entendent pas…
- Je croyais qu’ils t’avaient appris à te battre dans ton école de super-mafieux, lâche-t-il en saisissant un 9mm dans une des caisses à l’intérieur du coffre.
- Stefano, c‘est pas le moment de faire le malin! Tu vas tous nous faire tuer, putain!
- Et depuis quand t’es le cerveau de la famille, hein? me balance-t-il, avec son air sardonique habituel.
- Il faut toujours que tout soit une compétition pour toi, Stefano. Tu m’emmerdes!
- Oui, ça c’est bien vrai. Je t’emmerde! Alors fous-moi la paix et prends un flingue!
Y a vraiment que nous pour nous chamailler comme des mioches dans une telle situation…
Au lieu d’obéir à mon frère, je me retourne vers la serveuse (elle a l’air plus lucide qu’Edward) et lui tend mon portable, d‘une main qui -étonnement- ne tremble pas:
- Appelez la police. Dites-leur de se grouiller.
Je réfléchis un instant avant d’ajouter:
- Dites-leur que Stefano et Dario Dominatti sont avec vous. Ça les fera accélérer…
Elle hoche frénétiquement la tête et commence à composer le numéro.

Je me penche légèrement pour tenter d’apercevoir ce que les Turcs fabriquent. Ils sont apparemment en train de s’engueuler pour…
- Ils vont foutre le feu à la salle, lâche soudain Edward, me faisant sursauter.
- Pardon?
Son regard papillonne un instant avant de se fixer sur moi. Il écarquille les yeux, comme s’il était surpris de me voir, avant de répéter:
- Ils vont foutre le feu à la salle. Ils sont juste en train de se battre pour savoir comment ils vont se partager l’argent qu’ils ont récolté. Ensuite, ils vont fermer les issues et mettre le feu.
- … Tu parles turc? bafouillé-je.
- Ouais, me répond-il, laconique.

Merde.
La serveuse s’approche péniblement de moi, gênée par sa jupe pour avancer sur les genoux, et me rend mon portable en chuchotant entre ses sanglots:
- La police arrive. Je vous ai entendu parler et je… je leur ai dit d’appeler aussi les pompiers. Il y a… il y a une sortie cachée, de… de l’autre côté de la pièce. On l’utilise pour les transferts de… d’argent.
- On ne peut pas juste leur passer sous le nez pour sortir par là, intervient mon frère, son arme toujours à la main.
- Il faudrait qu’on…
Barbara n’a pas le temps de finir sa phrase. Un bruit de verre brisé éclate soudain, suivi par une violente vague de chaleur. J’ai à peine le temps de voir le dernier des Turcs disparaître dans l’escalier qu’une autre bouteille explose, à quelques mètres de moi. Edward observe le feu s’attaquer aux tentures de velours d’un air totalement abasourdi.
- Dario!
Stefano et la serveuse se sont déjà redressés, un torchon couvre la bouche et le nez de la jolie rousse et un mouchoir brodé aux initiales de ma famille protège le visage de mon frère.
J’attrape à mon tour un torchon encore humide et le tend à Edward qui semble réagir et le tient devant son nez. Me servant de la manche de ma chemise pour éviter d’inhaler de la fumée, je me redresse et, après avoir vérifié qu’Edward me suit, emboîte le pas à Stefano.
Le dos courbé, nous traversons la salle aussi vite que possible. J’enjambe le cadavre d’un mec que je connais vaguement pour avoir fréquenté une de ses copines alors qu’Edward manque de trébucher, à nouveau, sur le corps sans vie de Monsieur Muscle.
Devant nous, Barbara se débat avec une porte, masquée par une tenture partiellement enflammée. Mue par l’adrénaline, la serveuse finit par arracher brutalement le tissu de sa tringle avant de le jeter négligemment par terre.
Derrière moi, Edward s’est accroupi et tousse allègrement. Je crois me souvenir qu’il est asthmatique. C’est bien ma veine. Une bouffée d’air frais me frappe violemment au visage. J’ai l’impression qu’un bonhomme de neige m’a mis une droite…
Ils ont ouvert la porte.

Portant à moitié Edward, je gravis lentement l’étroit escalier sculpté à même la pierre qui mène vers l’extérieur. J’essaie de ne pas me laisser distancer par les deux autres alors que l’escalier commence à tourner vers la droite. J’entends une porte grincer en haut et lève la tête, la serveuse a réussi à l’ouvrir et se précipite dehors en titubant, suivie de près par mon frère. Je sens plus que je ne vois les flammes monter dans la cage d’escalier, attirées par l’appel d’air. Soutenant toujours Edward, je presse le pas.
A ma grande surprise, Stefano m’attend en haut de l’escalier en me tenant la porte. Arrivé à son niveau, il passe son épaule sous le bras d’Edward et m’aide à le traîner plus loin.
Je prends alors conscience des sirènes, des flics barrant la rue et des pompiers qui accourent vers nous. Deux d’entre eux prennent rapidement Edward en charge tandis que deux autres nous pressent, Stefano et moi, de nous éloigner du bâtiment.
J’échange un regard avec mon frère.
Mon frère… C’est impressionnant de voir à quel point deux personnes du même sang, que si peu sépare, peuvent être différentes. Lui, l’enfant adoré, brun, bronzé, ses cheveux mi-longs lui donnant l’air du parfait latin-lover. Et moi, le vilain petit canard, blond, clair de peau, le détaillant de mes yeux trop bleus. Il n’y a vraiment que ce nez ‘grec’, hérité de notre père, que nous avons en commun.
Même l’un à côté de l’autre, alors que nous venons d’échapper à la mort, c’est tout un monde qui nous sépare.
Stefano m’observe comme s’il avait envie de me dire quelque chose, mais se contente de me pousser légèrement dans le dos afin de me faire avancer.

Nous avons le temps de faire une vingtaine de mètres avant de brutalement nous retrouver à quatre pattes, propulsés au sol par le souffle de l’explosion. Le niveau souterrain abritant le casino vient apparemment de sauter.
- Putain…, murmure mon frère.
Je dois avouer que pour une fois, je suis d’accord avec lui.

Stefano se remet rapidement sur ses pieds. Encore un peu sonné, je l’imite avant de me retourner pour voir ce qu’il reste de l’immeuble.
La bâtisse est en proie aux flammes mais elle tient bon. Autour de moi, c’est l’agitation la plus complète, des pompiers courent en tous sens, les flics hurlent des instructions et font dégager les badauds attirés par le bruit des sirènes.

J’ai vaguement conscience du regard de Stefano qui me détaille des pieds à la tête. Avisant mon air intrigué, il a une espèce de grimace de gamin pris en faute.
- Bon. Je vais prévenir papa… Salut, finit-il par lâcher avant de s’éloigner du brouhaha ambiant, le téléphone déjà à l’oreille.

J’ai l’impression de sortir d’un rêve tellement la situation est surréaliste
Presque par réflexe, je sors moi aussi mon portable et appuie sur la touche 1.
- Oui? me répond la voix agacée de ma meilleure amie, après seulement une sonnerie.
Je fais un rapide calcul mental, il ne doit pas être loin de 10h à New York. Je ne la réveille pas.
- Buongiorno Vendettina!
- Dario, c’est pas le moment, continue-t-elle, toujours aussi sympathique.
- Oulà, mauvaise nuit? réponds-je, le sourire aux lèvres.

J’entends son soupir résonner dans le combiné. J’ai une irrépressible envie de rire. Un frisson me parcourt l’échine et je me sens soudainement très joyeux. Je continue à asticoter Venda, tout en la mettant au courant de l’attaque et sors une clope de mon paquet.

Ironie de la chose, mon briquet est resté dans le casino…

Je finis par raccrocher et, ne pouvant plus me retenir d’avantage… laisse éclater mon fou rire.
Saluuuut!

Oui, je sais, ça fait un bail! Mais hey, mieux vaut tard que jamais, et en plus j'arrive ce soir avec non pas un, mais DEUX textes.
Ouais, carrément.

Donc dans celui-ci, le grand retour de mon chouchou, Dario.
Et dans la suite, le même moment du point de vue de notre amie Vendetta!
Je ne suis toujours pas convaincue par ce texte, mais après l'avoir tourné dans tous les sens et modifié 10 000 fois, je vais le poster comme ça et basta!

N'oubliez pas de lire la suite! => Subcéréal <=

Comme toujours, merci à Jacob, Wolfy, Spero et Jaja.
Et un petit merci spécial à eo, qui m'a donné la motivation nécessaire pour reprendre ma plume.


Comme d'habitude, les commentaires et les critiques sont les bienvenus!
Merci à tous ceux qui me lisent :heart:
© 2008 - 2024 9-NiNe-9
Comments9
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kiky270281's avatar
Du grand Art!

Je dirais même plus :
"J’ai l’impression qu’un bonhomme de neige m’a mis une droite…"
Et même plus encore :
"- Putain…, murmure mon frère.
Je dois avouer que pour une fois, je suis d’accord avec lui.'"

Bon Dieu mais quel bonheur, j'adore!
Je kiffasse grave même, ouais!
Merci ^,^